C'est grâce aux archives nationales d'Italie à Turin (Archivio di Stato di Torino) que ce fonds a pu, dans un premier temps être reproduit sur place par M. Romain Le Gendre, au cours d'un stage de l'École nationale des chartes, et aujourd'hui être publié sur ce site, après reclassement et inventaire des pièces.
Les baronnies des Essarts et de Rié, qui n'ont aucune limite commune, se sont pourtant trouvées réunies entre les mêmes mains durant plusieurs siècles. Les Essarts, dans le haut bocage, rayonnaient à l'ombre d'un important château, et disposaient de nombreuses métairies, de forêts et de moulins. Ils relevaient de Thouars et avaient pour vassale l'importante châtellenie d'Aubigny. Rié, bien plus pauvre, au bord de la mer, relevait de Talmont et était de nature très différente. Cours d'eau et marais difficilement franchissables en faisaient une île, certes entourée en bonne partie d'eau douce, mais assez enclavée pour avoir été choisie en 1622 comme un refuge espéré inexpugnable par Soubise, alors poursuivi par Louis XIII. Rié n'avait que deux paroisses, Notre-Dame, son chef-lieu et Saint Hilaire qui s'étendait jusqu'en face de Saint-Gilles, sur ce qui devint Croix de Vie.
Les pièces originales les plus anciennes de ce fonds d'archives remontent à Marie de Beaucaire, princesse de Martigues et duchesse de Penthièvre, veuve assez tôt pour disposer elle-même de son patrimoine durant un demi-siècle. Cette première grande dame de la lignée des barons (et souvent baronnes) des Essarts et de Rié, est morte en 1613, plus de dix ans après son gendre, le duc de Mercoeur, terrible adversaire d'Henri IV. Aussi le bon roi Henri, voulant manifester le retour à la paix par le mariage d'un de ses fils avec une fille issue du parti adverse, insista-t-il pour unir son fils bâtard César, duc de Vendôme, à Françoise de Lorraine, fille de Marie de Luxembourg et du duc de Mercoeur, ce qui eut lieu du vivant de Marie de Beaucaire, grand-mère de la jeune femme, en 1609. Les deux baronnies suivirent cette filiation et furent remises ensuite en dot, à la génération suivante, à leur fille Elisabeth de Bourbon, dite Mademoiselle de Vendôme, mariée en 1643 au duc de Nemours, Charles-Amédée de Savoie. Vingt ans plus tard, à la mort de la duchesse de Nemours en 1664, elles passèrent à sa fille Marie-Jeanne Baptiste, dite Mademoiselle de Nemours et très bientôt Madame Royale (de Savoie), à son mariage avec le duc de Savoie (roi de Chypre). C'est encore du vivant de Madame Royale que son fils, duc mais désormais aussi roi de Sicile, entreprit de liquider un certain nombre de biens revenus éparpillés en France, chose accomplie en 1716. Le destin exceptionnel des barons des Essarts et de Rié explique pourquoi quelques-uns de leurs dossiers demeurent aujourd'hui dans les archives de l'État d'Italie, à Turin.
Ce fonds comprend une pièce curieuse sous la forme d'une copie malheureusement très fautive du XVIIe siècle (1 Num 231-64). Il s'agit d'un très long acte de transaction, daté de 1409, passé entre les manants de Rié et leur seigneur (plus d'autres, intervenant à titre de créanciers du seigneur). Les manants, qui prétendaient n'avoir jamais payé de taille, en acceptent pourtant le rétablissement, de même qu'ils conviennent que de nouveaux habitants jouiraient d'un tarif moindre. Comment ne pas y voir, au lendemain du terrible XIVe siècle, marqué par la peste et la guerre, l'espoir d'une reprise économique favorisée par un effet de niche fiscale susceptible d'attirer des bras ? Les manants en avaient besoin pour sortir leurs terres de l'état d'abandon que dénonçait le seigneur (terres gâtes), et ce dernier les attendait pour augmenter le nombre de ses contribuables. Bel exemple, sans doute, du caractère contractuel que pouvait prendre le système seigneurial. Le fonds d'archives éclaire aussi un peu une autre période singulière, deux siècles plus tard, toujours en Rié, quand Marie de Beaucaire y favorisa la création de Croix-de-Vie.
Les deux baronnies disposent de personnels distincts, sauf du point de vue "militaire", car le gouverneur des Essarts est aussi capitaine de l'île de Rié. Chacune a bien sa justice propre, avec sénéchal et procureur fiscal, des sergents, des notaires. Elles disposent des équipements habituels, régulièrement entretenus ou reconstruits par les fermiers généraux : halle pour le marché, fourches patibulaires, parquet et auditoire pour rendre la justice, prison qu'il faut remettre en état quand on identifie un criminel (1 Num 231/98), mais aussi fuie et four banal. On notera que celui de Rié était abandonné au début du XVIIIe, faute de disposer d'assez de bois pour le faire fonctionner (1 Num 231/114-4, vue 6).
Rié présentait des particularités maritimes amenant la baronnie à développer de véritables services publics, à sa charge mais également sources de revenus. L'absence de pont pour gagner Saint-Gilles obligeait à traverser l'estuaire de la Vie. Une gabarre seigneuriale servait donc à passer l'eau. La baronnie disposait aussi de trois ports de mer. L'un deux, à l'embouchure de la Besse, entre Saint-Hilaire et Saint-Jean-de-Monts, ne disposait d'aucun équipement. Le havre de Saint-Gilles aurait relevé de la baronnie, mais on n'en trouve aucun document. Celui de Croix-de-Vie, un peu plus en aval, devint un port lorsque Marie de Beaucaire y fit construire un quai pour protéger le havre de la mer, et pour y amarrer les navires que des armateurs cherchaient à abriter. La princesse avait obtenu du roi des privilèges pour rendre l'entreprise viable : le droit de lever une taxe sur les marchandises et l'établissement d'une mesure (un grand poids) propre à Croix-de Vie (1 Num 231/49, vue 40). L'entretien du quai, indispensable pour lutter contre la mer et abriter les navires, fait l'objet de grands chantiers en 1666 et 1667 et, après une brèche, en 1684-1689. On n'hésite pas à consulter la demi-douzaine d'architectes du roi alors présents sur l'île de Rié pour travailler à sa fortification, et on en retient un pour diriger les travaux. La pierre qui recouvre le quai doit être de belle taille et provient des carrières de Taillebourg (Charente-Maritime) (voir 1 Num 231/60-62 ainsi que les comptes des fermiers).
En gestion directe à la belle époque de Marie de Beaucaire, les baronnies sont en fait confiées à des fermiers généraux la plupart du temps. Un conseil parisien du prince, avec un agent plus particulièrement attitré, passe les baux, vérifie les comptes, ordonne les travaux, poursuit les fermiers. La gestion parait rigoureuse, dans sa forme au moins, au vu de l'examen des comptes, annotés article par article (cf. en 1651, 1 Num 231/83). En fait les temps sont parfois très durs. On ne garde pas d'écho de la bataille de Rié, en 1622, qui vit le ravage de la baronnie de Rié et la destruction de son château. Il est cependant parfois question des années de vimaire et de très mauvaises récoltes dans les comptes des fermiers. On constate en fait une reprise en main des affaires en 1666, lorsque les baronnies passent à Madame Royale : poursuite de fermiers ne rendant même plus leur compte, réunion des grandes assises, tentative d'union des fermes générales des deux baronnies, inventaire des archives, etc. Il semble que cet effort ne tint pas dans la durée. Un demi-siècle plus tard, lorsqu'un nouvel agent fait le tour du propriétaire et jette un œil très critique sur l'état des lieux et des revenus, il dénonce l'incurie du conseil de Madame Royale, l'absence de tout contrôle des fermiers livrés à eux-mêmes, la baisse régulière des revenus d'où l'érosion du montant de la ferme.
De fait, il n'est que de voir ce qu'on dit du château des Essarts pour comprendre que la princesse est trop loin (1 Num 231/114-4, vue 3). Mais à cette incurie s'ajoute peut-être aussi une avidité fiscale, locale ou royale, sans rapport avec la réalité contributive. Comment expliquer sinon que des fermiers généraux fassent faillite ? La description des Essarts donnée en 1715 est en effet sans appel : " le bourg est assez gros, autrefois fort peuplé, mais le quart des maisons fut détruit aussi bien que dans les villages. La paroisse contenait plus de 500 feux, à présent, elle n'en contient plus que 300 : comme elle est beaucoup chargée de tailles, il en est sorti beaucoup des habitants (ibidem, vues 5-6) ".